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    Nicolas Boudinet et Marie Thomas (MAIF) : « Nous avons besoin de matérialiser et d’incarner physiquement ce que nous sommes »

    Société à mission depuis 2020, la MAIF, qui se qualifie d’« assureur militant », déploie un modèle d’entreprise original, en recherche permanente d’équilibre entre considérations économiques et engagement socio-environnemental. Illustration de cet état de fait, le MAIF Social Club, un lieu hybride de 1 000 m2 au plein cœur de Paris, qui marie depuis 2017 expositions gratuites, boutique atypique, café, espace de coworking et bibliothèque. En somme, un lieu de vie agréable, responsable et ouvert sur le monde. Un lieu qui communique aussi, porteur du projet d’entreprise et des valeurs de la MAIF. Marie Thomas, responsable communication du MAIF Social Club, et Nicolas Boudinet, directeur général délégué de la MAIF, nous en disent plus.

    Nicolas Boudinet : Ce lieu est la somme de plusieurs constats. D’abord, à titre personnel, je m’intéresse au retail et je suis les initiatives des grandes marques. En 2014, quand on a commencé à faire germer l’idée du Social Club, des enseignes, de vêtements notamment, développaient des flagships caractéristiques de leur marque, en reprenant leur histoire, en faisant un pas de côté par rapport à leur offre classique, en recréant des collections et des articles d’époque, etc. Cette idée me plaisait.

    Le deuxième élément est lié à la MAIF. Nous évoluons dans une industrie de l’assurance possédant deux caractéristiques peu favorables au commerce. D’une part, notre fréquence de contacts est très faible, car on voit rarement nos clients – et j’ai envie de dire tant mieux, parce que ça signifie que tout va bien ! Et d’autre part, la matérialité de l’offre est assez difficile à percevoir, car dans une majorité de cas, une réparation s’opère ou une indemnité se voit versée. Donc le rapport à la marque est plus intellectuel et affectif que matériel.

    Le troisième argument touche à nos lieux physiques. Nous en possédons environ 150 à l’échelle nationale et nous avons la conviction que la marque MAIF doit être présente localement. Il faut qu’il y ait une proximité humaine. Or, le nombre de visites en agences reculait depuis plusieurs années. Ça ne concernait pas que la MAIF, évidemment, mais c’était un sujet de préoccupation. En se projetant, on se demandait : qui va venir nous voir et pourquoi ?

    Enfin, dernier point plus anecdotique, je travaillais depuis 20 ans à la MAIF et j’ai toujours apprécié l’importance et la qualité des relations humaines au sein de l’entreprise. Créer un lieu dans lequel les gens se rencontrent pour nourrir la vie sociale s’inscrivait dans l’esprit des fondateurs de la MAIF. D’une certaine façon, nous avons tenté de revenir au projet d’origine, en le réinterprétant avec les codes du moment, afin que nos sociétaires ou non viennent sur ce site, comprennent qui on est et ce qu’on fait.

    Nicolas Boudinet : Dans la relation à la marque, il y a trois ingrédients essentiels qui font que les gens adhèrent et restent à la MAIF. La première, c’est que nous sommes un assureur reconnu et que nous proposons un produit de qualité. La deuxième raison, c’est que nos conseillers entretiennent une relation saine avec nos sociétaires, car ils ne sont pas incentivés à la vente, donc ils prennent le temps d’expliquer les choses afin d’essayer de trouver la meilleure solution. Et la troisième raison, c’est le fait que la marque intègre un certain engagement. Celui-ci était porté par des campagnes de communication publicitaire et les prises de parole régulières de notre directeur général Pascal Demurger, qui se montre très engagé sur le plan social et environnemental. On a souhaité ajouter un ingrédient. Une dizaine d’année en arrière, nous avons ressenti le besoin de matérialiser et d’incarner physiquement ce que nous sommes. Il est indispensable de prendre la parole dans les médias, mais comment pouvait-on faire vivre autrement nos valeurs et notre positionnement ? Le Social Club pouvait contribuer à remplir cette fonction.

    Nicolas Boudinet : Oui, car la MAIF est née des enseignants et le rôle de l’enseignant, c’est de donner les moyens à ses élèves de penser seul et de faire ses choix. Nous tentons d’appliquer ce modèle au Social Club et de ne pas se poser en donneurs de leçons. On pose les débats et on amène des visions contradictoires pour inviter à se poser des questions. Que ce soit via des conférences ou des expositions, l’idée générale est que les gens se saisissent eux-mêmes des sujets à travers des œuvres ou des prises de parole, sur l’alimentation, la préservation de la nature, ou encore le cosmos. Sans oublier d’impliquer le jeune public, car le Social Club est un lieu de vie ouvert à toutes et à tous.

    Nicolas Boudinet : On aime beaucoup le design à la MAIF, au sens de dessiner une expérience, un parcours. Nous savons donc que ce n’est pas avec ce qu’on imagine au départ qu’on a des certitudes. Il faut se donner le temps de tester pour voir si ça fonctionne. La première chose dont on s’est rendu compte assez vite, c’est que mêler sur un même site des actes de vente ou de gestion et des interactions extra-contractuelles, c’était compliqué. Donc après un an, nous avons renoncé à avoir une activité commerciale au sein du Social Club.

    Marie Thomas : A l’origine, la boutique d’objets n’existait pas et le café non plus. Le coworking était là, mais en version réduite. Les retours des premiers visiteurs ont été précieux pour aménager le lieu. Un questionnaire était et est encore aujourd’hui soumis à la fin de chaque visite afin de connaître, si possible, la satisfaction de chacun. Sur cette base, nous sommes par exemple passés d’une petite roulotte avec une quinzaine de références à une véritable boutique invitant à la consommation alternative et à un site web étoffé.

    Deux piliers doivent toutefois perdurer au sein du lieu : l’ouverture et l’accessibilité, afin de faire communiquer les différents univers, sur un pied d’égalité. L’espace d’exposition est ouvert sur l’espace de coworking et la bibliothèque, qui est lui-même ouvert sur la boutique et le café. La déambulation est très fluide, même jusqu’à l’étage, où il existe une salle de 100 places assises, dans laquelle on organise de nombreux évènements. Une telle offre illustre notre choix d’inclure tous les publics, dès l’âge de 6 mois, des valides aux personnes en situation de handicap, et des novices aux experts.

    Marie Thomas : Il s’agit d’une sélection de produits issus de marques qu’on peut retrouver ailleurs, et d’autres plus confidentielles. On source des entreprises qui correspondent à nos valeurs et à notre charte. Elles répondent à un cahier des charges précis, notamment sur des questions d’éco-conception ou de fabrication locale. L’objectif est de promouvoir une consommation responsable. Et on essaye de créer du lien et d’engager la discussion sur les engagements MAIF. En vendant par exemple une pastille destinée à remplacer la lessive de supermarché, on peut engager une discussion autour de l’écologie.

    Tous les mois, on change le merchandising sur les deux façades de la boutique. Et en ligne, on modifie le volet et la présentation en fonction de la thématique du moment au sein du Social Club. Certains produits sont sourcés spécifiquement pour la thématique. En lien avec le sujet du cosmos, jusqu’en juillet, nous vendons ainsi des jeux de cartes astrales réalisées par une illustratrice spécialisée. On crée une cohérence pour le visiteur physique et digital.

    A côté de ces références qui ne sont pas spécifiques au Social Club, nous avons développé une collection capsule pour les 90 ans de la MAIF, en 2024. Des bobs, casquettes, chaussettes, bananes, t-shirts et sweatshirts de qualité ont été conçus et produits en édition limitée, au Portugal et en France. Cette initiative nous permet de revenir sur nos valeurs historiques et de reprendre notre signature d’« assureur militant », en mêlant écriture inclusive et typos des années 70.

    Marie Thomas : Nous possédons une grande partie des ressources en interne. Au total, une vingtaine de salariés MAIF travaillent dans le lieu. On a la chance d’avoir la possibilité de proposer des choses, ce qui offre un terrain de jeu exceptionnel. Pour chaque nouvelle exposition, nous faisons appel à des commissaires et des scénographes différents, en fonction des thématiques. On fait varier l’espace afin que les visiteurs réguliers jouissent d’une nouvelle expérience. L’exposition du moment (NDLR : « Chaosmos ») est très ouverte, mais à partir de septembre prochain, la nouvelle installation, relative aux océans, sera très différente visuellement.

    Nous avons récemment décidé de rallonger la durée de vie des expositions, pour différentes raisons. Nous sommes passés de 6 à 9 mois. Ce temps long permet de travailler le sujet plus en profondeur en interne et en externe, mais aussi de répondre à des impératifs de responsabilité environnementale. Les scénographies des expositions doivent par ailleurs répondre à un cahier des charges dans le même esprit que celui de la boutique. Aucun plastique n’est utilisé et le bois est privilégié. On travaille avec l’entreprise francilienne Solid sur la conception des parois. Et on est en lien avec des ressourceries, comme la Réserve des arts à Pantin.

    Marie Thomas : Oui, même si l’idée n’est pas d’être dans le « goodies ». Quand on imprime des livrets-jeux, ce n’est pas tant pour que les gens repartent avec un cadeau. Il s’agit plutôt d’augmenter l’expérience visiteur au sein du lieu. En aucun cas nous nous positionnons comme des sachants. On souhaite en revanche faire comprendre que les artistes ayant travaillé sur les expositions portent des messages et que, grâce à eux, on peut, de façon ludique, permettre aux enfants d’apprendre, de retenir des choses et de vivre une belle expérience. Dans le même ordre d’idées, pour notre collection capsule, nous souhaitions renforcer ce discours d’assureurs militants à travers quelques objets portant les valeurs de la marque. Cela avait du sens.

    Et sur la question physique, il y a aussi cette notion du « faire » et d’engager le corps dans certaines propositions du MAIF Social Club. Au-delà de l’exposition, des conférences et des spectacles, il y a aussi toute une programmation d’ateliers pour enfants et adultes. On construit, on dessine, on touche, on sent, etc. Aller chercher l’émotion, le côté presque intime, dans le parcours du visiteur, permet de laisser une trace plus forte dans la mémoire, bien plus en tout cas qu’en faisant uniquement appel à des propositions descendantes sur du contenu.

    Nicolas Boudinet : Notre ambition de départ était d’accueillir 20 000 personnes par an. On est à plus de 100 000, réparties entre 40 % de sociétaires et 60 % de non sociétaires. Le tout sans avoir de vitrine sur rue, ça ressemble à un petit exploit. Mais je pense que nous avons atteint la limite de la capacité du lieu. Demain, celui-ci sera peut-être encore plus ouvert, plus grand et plus visible. Mais il doit rester intime. Ce n’est pas une boutique de souvenirs, c’est quelque chose dans lequel on rentre avec la conscience de faire quelque chose d’intéressant. On y rentre avec ses amis ou sa famille, parce qu’on a envie de découvrir un thème ou parce que l’ambiance nous plaît.

    On pourrait aussi imaginer que l’endroit se duplique dans d’autres grandes villes en France. L’idée, c’est de faire connaître la marque, mais je ne suis pas certain qu’un Lyonnais, un Marseillais ou un Rennais ait l’opportunité de venir à Paris pour se rendre au MAIF Social Club. On sait qu’il est difficile de faire venir des trentenaires en agence pour leur vendre des contrats d’assurance, parce qu’ils peuvent le faire avec un « bot » à distance à 23 heures sur leur canapé. En revanche, si on crée un événement qui les intéresse et au cours duquel ils pourront faire découvrir quelque chose à leurs enfants, un samedi dans le centre-ville de Lyon, nous avons une chance de les attirer. Et ce faisant, on réancre leur relation à la marque et ça nous aide dans le positionnement local de la MAIF. Cette idée reste très prospective, parce qu’aujourd’hui elle n’est pas dans le plan, mais nous pourrions tout à fait l’envisager à l’avenir. 

    Bertrand Clermont-Genevi est rédacteur en chef d'IC. Il possède dix ans d’expérience dans les médias (L’Express, 20 Minutes, Prisma Média) et en agence de communication (Hopscotch).