
L’art de la déco au service du tourisme
En France, dans le pays le plus visité au monde, les enjeux touristiques sont de taille. Plus de 100 millions de personnes viennent chaque année sur notre territoire. Il faut dire que les atouts de l’Hexagone sont nombreux : la ville de Paris, des paysages variés, une histoire riche, une gastronomie de haut vol, etc. Sans verser dans le chauvinisme, la liste apparaît sans fin… Mais ce n’est pas une raison pour camper sur ces acquis. Du retail à hôtellerie en passant par les musées et les restaurants, les acteurs du tourisme doivent redoubler d’ingéniosité pour continuer à séduire, encore et encore, dans un contexte de concurrence mondiale. Et le rôle des industries graphiques est loin d’être anecdotique sur le sujet.
Le tourisme se porte bien en France. Notre pays a même signé une année record en 2024, à la faveur du développement de l’afflux international et de la solidité du marché domestique. Selon le ministère de l’Économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, le nombre de visiteurs internationaux a franchi le cap des 100 millions sur notre territoire, soit une hausse de 2 millions par rapport à 2023. Quant aux recettes internationales, qui atteignent le chiffre record de 71 milliards d’euros, elles sont en augmentation de 12 % sur un an.
Les cinq pays les plus représentés en nombre de visiteurs sont la Belgique, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Suisse et les États-Unis. Les visiteurs venus d’Asie sont plus nombreux qu’en 2023 – on note un + 40 % pour la Chine -, mais leur nombre reste inférieur au niveau pré-crise sanitaire. Par ailleurs, le tourisme domestique est également en bonne santé, avec une clientèle française affichant une progression de 2 % par rapport à 2023.
Trois grands évènements peuvent expliquer, pour l’essentiel, l’essor du tourisme en France en 2024 : l’organisation des Jeux Olympiques de Paris, les 80 ans du Débarquement en Normandie et la réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris. La croissance du tourisme s’explique aussi par les bons résultats de la fin d’année, portés par la montagne et le ski, en hausse de 5,5 % par rapport à 2023. Une croissance qui peut se justifier, on l’a dit, par une année inédite en termes d’évènements majeurs qui a renforcé encore un peu plus son attractivité sur la scène internationale, mais aussi par un niveau d’enneigement des plus satisfaisant.
ANNÉE RECORD ET DÉFIS À VENIR
Qu’attendre de 2025 après une année aussi faste ? Les premières estimations des experts du secteur font état de tendances très favorables pour le tourisme français au premier trimestre. Premier élément, les arrivées aériennes internationales sont en augmentation de +10 % sur les trois premiers mois de l’année par rapport à 2024. La dynamique parisienne demeure toujours très forte, avec +7 points de taux d’occupation hôtelier en janvier 2025 et 4 points d’avance pour ce qui concerne les taux de réservation de février 2025. Selon l’observatoire Harris Interactive pour Atout France, les intentions de voyage pour les vacances d’hiver étaient également en hausse par rapport à l’année dernière. Ces premiers résultats très positifs esquissent une trajectoire de croissance du tourisme dans le pays pour 2025, toujours portée par les évènements internationaux organisés avec succès par la France l’année dernière.
Pour autant, les défis ne manquent pas pour l’industrie touristique, car il faut continuer à innover pour séduire les vacanciers. Et du retail à l’hôtellerie en passant par les musées et les restaurants, les industries graphiques et la communication visuelle jouent un rôle d’importance dans l’attractivité de notre pays. En effet, le tourisme et la décoration sont étroitement liés en France, car elle s’impose, avec d’autres, comme une référence mondiale en matière d’art de vivre, d’élégance et de design. Afin de s’en montrer digne, les enseignes et les lieux de vie ne ménagent pas leurs efforts pour continuer à attirer et à fidéliser les étrangers, comme les Français. C’est ce que nous allons explorer dans les pages qui suivent, via trois questions à Marine Guelaia, business development manager décoration d’Hexis, le témoignage de Caroline Paul, dirigeante du cabinet de conseil Talents Travel, le cas d’étude du 25hours Hotel Terminus Nord à Paris et, pour terminer, un focus sur le Musée Soulages de Rodez.
3 questions à… Marine Guelaia, business development manager décoration chez Hexis

Votre gamme dédiée à la décoration, « Hex’perience », fête ses 5 ans. Quel bilan faites-vous de son évolution ?
Cinq ans en arrière, l’idée générale était de contribuer à faire vivre une expérience client, que ce soit en boutiques ou dans l’hôtellerie. Notre gamme est venue se positionner de manière originale sur le marché, car les professionnels ne connaissaient pas forcément l’utilisation de complexes, au sens de superpositionner des éléments pour en créer un unique. Ils avaient plutôt l’habitude d’acheter des matériaux finis et prêts à être posés, mais pas modifiables et personnalisables à l’infini comme notre gamme l’est. Donc au début, certains clients ont eu quelques difficultés à comprendre notre démarche.
Mais après un petit temps d’adaptation, ils en ont compris toute l’utilité, parce que cette gamme est utilisable en décoration, mais aussi en signalétique ou en covering. Il y aura toujours des gens réfractaires, mais comme pour toute chose. L’évolution d’Hex’perience est très positive en 5 ans, et on voit de plus en plus de prescription en architecture. L’hôtellerie et la restauration, notamment, ont bien compris l’avantage des films. Nous sommes très confiants pour le développement futur de notre gamme, car les études de marché sont encourageantes et les perspectives de croissance sont intéressantes.
Quels sont les grandes tendances qui se dégagent sur le marché et comment y répondez-vous ?
Il existe deux grandes tendances. La première touche à l’écoresponsabilité, qui est devenue une grande priorité sur tous les produits. Nous fabriquons en France, ce qui limite de fait notre impact carbone. Nos films sont par ailleurs recyclableset nos clients peuvent nous envoyer des chutes de liner, de PVC imprimé, de PVC teinté masse avec adhésif, etc. Un partenariat industriel nous permet de donner une deuxième vie à ces chutes, en les transformant en matériaux de construction ou en isolant thermique.
La personnalisation constitue la deuxième grande tendance. Quelques années en arrière, elle était réservée ou presque au monde du luxe, dans le cadre d’expériences haut de gamme. Les choses se sont démocratisées et on peut à présent la proposer à tout le monde en décoration. Notre gamme offre une vingtaine de laminations texturées et environ 80 fichiers d’impression HD. Les possibilités sur cette base sont infinies ou presque, car les fichiers d’impression sont modifiables dans Photoshop. Tout est paramétrable et adaptable selon les besoins de chacun.
Avec les dernières nouveautés Hex’perience, vous tendez vers des rendus toujours plus réalistes et esthétiques…
Depuis le lancement de la gamme, nous avons misé sur des rendus ultra réalistes. Mais il faut reconnaître qu’on reste sur un film. Par rapport à un vrai matériau, la grande différence est que le support reste froid au toucher. En revanche, le rendu visuel est de plus en plus bluffant. Notre dernière nouveauté majeure, c’est la PCPRISM, une lamination adhésive à effet arc-en-ciel, qui rencontre un grand succès.
En parallèle, nous proposons une bibliothèque de fichiers d’impression, avec des finitions accompagnant les laminations et les films. Nous l’enrichissons régulièrement et nous avons récemment sorti des motifs inspirés du carreau Zellige marocain ou des bois à chevrons. On suit les tendances. En termes de création,la plupart denos fichiers sont créés en interne par notre studio graphique, mais nous continuons à proposer des collaborations avec d’autres professionnels des arts graphiques. D’ailleurs, une nouvelle collection réalisée avec un artiste français connu à l’international va bientôt sortir.
Caroline Paul, dirigeante de Talents Travel : « Aujourd’hui, c’est l’expérience qui compte et la décoration joue un grand rôle »
Après 15 ans dans le tourisme d’affaires, Caroline Paul fonde Talents Travel en 2012, un cabinet de conseil en stratégie, spécialisé en marketing touristique. L’entreprise accompagne des acteurs prestigieux du tourisme, de la culture, du retail, ainsi que des marques du luxe français dans l’acquisition et l’accueil des touristes en France. Afin d’y parvenir, la décoration est clé selon Caroline Paul.
La décoration d’un hôtel, d’un magasin, ou d’un musée exerce-t-elle un rôle important pour attirer les touristes ?
Absolument ! Aujourd’hui, un touriste, quel que soit sa nationalité, ne vient pas seulement en France pour visiter le pays, il vient pour vivre une expérience au sein d’un lieu, d’un musée ou d’un magasin. Avec cet objectif en tête, la décoration doit parler, donner envie et susciter une émotion. Et ensuite, en termes de communication, si on souhaite faire revenir les touristes, la décoration doit aussi fidéliser.
Si on prend l’exemple de l’hôtellerie, pourquoi choisit-on une chaîne d’hôtels plutôt qu’une autre ? Parce que vous retrouvez vos goûts ou parce que vous êtes rassuré sur les prestations. On doit se sentir « comme à la maison ». La sécurité représente quelque chose de très important dans un voyage. Ça manque certes de surprise, mais vous savez où vous allez et ce que vous trouverez en termes de décoration notamment. L’idée est la même chez l’habitant ou dans des hébergements type Airbnb. Les touristes opèrent un choix esthétique qui leur donne envie de venir, puis de partager des photos et, éventuellement, de revenir.
Est-ce qu’en termes de public, les Chinois par exemple, dont vous êtes spécialiste, sont-ils plus sensibles à la décoration que les Européens ou les Américains ?
Toutes les nationalités intègrent des sensibilités culturelles différentes en termes de décoration. Les ressortissants du Moyen-Orient ont des habitudes qu’on peut parfois juger un peu clinquantes, mais ça fait partie de leur mode de vie et de leurs choix de décoration. Les hôtels souhaitant toucher cette clientèle vont adapter leur style en conséquence. Pour la Chine, on est dans une dimension toute autre, où, en grossissant le trait, les femmes chinoises aiment souvent ce qui est « mignon ». Elles sont très sensibles aux couleurs et aux formes.
Quoi qu’il en soit, s’il y a bien une chose qui caractérise toutes les nationalités sans exception, c’est le goût pour l’héritage. Cette dimension explique en grande partie pourquoi le tourisme est si développé en France. Notre pays charrie un imaginaire nourri par l’histoire, la culture, la mode, la beauté, etc. Ça se retrouve dans l’hôtellerie, mais aussi dans les musées. Dans un musée, les touristes appréhendent les œuvres à travers leur prisme culturel et cette dimension est à prendre en compte, entre recherche d’ancrage local et attention aux différences culturelles des touristes.
Existe-t-il des codes différents entre Paris et les régions ?
Il existe un tropisme historique pour la décoration à Paris. Quand vous séjournez dans la capitale, vous évoluez dans un univers extrêmement travaillé, plus que partout ailleurs en France. C’est d’ailleurs ce que viennent chercher les touristes à Paris, à travers des musées, des grands hôtels et une multitude de lieux de vie. Mais Paris n’est pas la France. L’ensemble du pays attire des touristes.
Si on prend l’exemple des châteaux de la Loire, c’est l’un des premiers berceaux touristiques, historiques et culturels de l’héritage français. Pour preuve, en termes de communication, des grandes marques hexagonales vont chercher cet univers pour des campagnes destinées à l’international. Au-delà des châteaux de Chambord ou de Chenonceau, il existe des pépites en régions, parfois méconnues, et aujourd’hui, les touristes aiment découvrir les trésors cachés et sortir des lieux battus et rebattus. Pour le dire autrement, la proposition décorative est peut-être un peu moins immédiate en régions, ça se mérite un peu plus, mais c’est tout aussi riche qu’à Paris. Il s’agit d’une expérience différente.
La dimension partageable et instagrammable fait partie de l’expérience de voyage, à l’image des touristes prenant des selfies devant les décorations de Noël des vitrines des grands magasins à Paris…
Tous les touristes ont envie de partager leur expérience, voire ils la sur-partagent au lieu de profiter pleinement du moment présent. Mais ça dit quelque chose de l’importance en termes de communication. Plus on vit un effet « waouh », plus on a envie de partager. C’est vrai sur place, mais ça peut aussi se jouer sur le trajet pour se rendre sur un lieu touristique. J’ai vu récemment en gare Montparnasse à Paris une initiative remarquable, avec des publicités pour une exposition sur des pylônes jusque-là inexploités. C’était très réussi visuellement, et intégré à la manière d’une décoration. J’ai trouvé ça très intelligent parce qu’on fait entrer l’art en gare, sur un flux de tourisme. Ce type de dispositif donne envie d’être partagé.
Il est indéniable que les réseaux sociaux influencent plus que jamais le choix des destinations touristiques et des lieux à explorer. C’est la raison pour laquelle mes équipes travaillent beaucoup sur des opérations de teasing sur les réseaux sociaux pour attirer les touristes. Nos clients nous sollicitent même parfois lors de leurs chantiers en cours, pour savoir quelles seraient les adaptations nécessaires pour une meilleure acquisition de touristes. Ces moments très en amont sont intéressants pour raconter une histoire. Quand on est au cœur du chantier de rénovation d’un hôtel et qu’on a l’opportunité de découvrir ses secrets, c’est une mine d’or. On peut partir de la décoration originelle pour raconter l’histoire de l’hôtel, passée comme future. L’essentiel est d’être cohérent et de ne pas s’inscrire dans la sur-promesse en termes de communication, car tout se sait vite et un bad buzz peut arriver très rapidement.
Est-il essentiel de se renouveler en termes de décoration afin de fidéliser la clientèle ?
En France, nous avons connu, en particulier à Paris, un vrai enjeu sur les palaces. Le besoin de rénovation était généralisé, notamment face à l’arrivée d’établissements issus de marques mondiales. Il a fallu se mettre à niveau des normes internationales. L’exemple ultime à Paris en termes d’hôtellerie, intégrant tout l’héritage à la française, c’est le Crillon. Les voyageurs internationaux qui ont la chance de descendre dans cet hôtel attendent une splendeur décorative digne du pays des rois.
Il faut qu’on se montre fiers de cette culture, mais l’équilibre est très subtil. Il faut jouer entre notre héritage différenciant et une forme de modernité en termes de décoration. On doit aussi prendre en compte une certaine adaptation culturelle dans l’équation. Il faut faire attention, car nous faisons face à une concurrence de destinations à l’échelle mondiale, où les établissements hôteliers, de luxe ou non, se renouvèlent plus vite que chez nous.
Ce besoin de renouvellement est-il plus prégnant dans le retail ?
Oui et non. Le retail mettant en avant le savoir-faire français, notamment dans le luxe, constitue un modèle, parce qu’il connaît très bien sa clientèle internationale. L’objectif est de faire vivre dans son écrin, en France, une expérience française. Quand vous allez chez Chanel, rue Cambon à Paris, vous vous immergez dans l’histoire de Coco Chanel, du sol au plafond. Vous marchez au cœur de l’héritage. Les marques cherchent à démontrer et à développer l’histoire de leur savoir-faire par la décoration. C’est également vrai pour des enseignes grand public ou plus récentes qui se basent sur le made in France.
Il faut reconnaître que dans la mode, la décoration des boutiques change souvent, parce qu’une collection chasse l’autre et que de nombreux modèles sont vendus. Certains magasins sont identiques ou presque, mais dans le haut de gamme, les boutiques en France ressemblent de moins en moins à celles de Tokyo ou de New York. On revient à des expériences françaises et à une identité propre car, en France, vous êtes dans le berceau de la marque. On doit le voir et le sentir en entrant.
FOCUS SUR LE 25 HOURS HOTEL TERMINUS NORD A PARIS

FOCUS SUR LE MUSEE SOULAGES A RODEZ
